Nicolas, blog coeur de chauffeNicolas, passionné de rhum depuis une vingtaine d’années, cherche constamment à élargir sa culture en dégustant, en étudiant l’histoire, la technique et tout ce qui a trait à son spiritueux préféré. Ces recherches l’ont conduit à créer son propre blog (cœur de chauffe), à écrire pour d’autres, et plus récemment à importer quelques uns de ses coups de cœur, toujours dans un esprit de partage.

 

 

 

Un terroir historique

Les premières colonies hollandaises du Guyana se sont établies en 1640, au bord des fleuves Essequibo et Berbice. La troisième colonie, la plus célèbre aujourd’hui, est celle du Demerara, apparue en 1752. À la fin du XVIIIème siècle, l’industrie sucrière était si florissante que l’ensemble des trois colonies recensait plus de 300 plantations, chacune dotée d’une distillerie qui transformait sa mélasse en rhum.

Ces rhums ont rapidement acquis une solide réputation, par le biais de la Navy britannique qui les utilisait pour sa ration quotidienne, mais aussi grâce aux négociants du vieux continent qui avaient pour habitude de les incorporer dans leurs assemblages.

Cependant, au début du XIXème siècle, les prix du sucre ont entamé une baisse qui n’a quasiment jamais cessé jusqu’à aujourd’hui. Lorsque les britanniques ont pris la main sur les trois colonies, pour ensuite les fusionner, ils ont amorcé une phase de concentration des plantations. Ainsi, on ne comptait plus que 180 d’entre-elles en 1849, puis seulement 64 au début du XXème siècle.

 

En 1942, seules 9 distilleries étaient encore actives. Leurs noms sonnent aujourd’hui comme une douce musique aux oreilles des amateurs. À cette époque, les distilleries n’embouteillaient pas leur propre rhum, mais l’expédiaient en vrac à leurs clients. Elles ne possédaient donc pas de marque commerciale, mais identifiaient leurs rhums grâce à des « marks » (sortes de codes) apposées sur les fûts.

Voici un aperçu de ces plantations / distilleries mythiques, avec les types d’alambics dont elles disposaient et la mark correspondante.

 

Uitvlugt

Quadruple colonne Savalle. Mark ICBU : rhum très aromatique, malgré une installation relativement industrielle.

Petit pot-still John Dore à double retort. DHE : rhum « high-ester » très concentré, à l’image des rhums jamaïcains.

 

Skeldon

Colonne continue Blair. SWR : rhum léger et sec.

 

Albion

Colonne continue Coffey. AN : rhum léger, doux et équilibré, parfait pour les assemblages.

 

La Bonne Intention

Colonne continue Coffey. LBI :  rhum au caractère doux, équilibré, mais suffisamment prononcé pour faire de bons assemblages.

 

Blairmont

Colonne continue Coffey. B : rhum doux et équilibré, avec des arômes typiques des rhums du Demerara.

Diamond

Colonne continue Coffey. SV(W) : rhum doux et très savoureux. On l’utilise la plupart du temps tel quel, sans assemblage, en tant que rhum blanc.

Les trois distilleries qui suivent ont particulièrement forgé la légende des rhums du Demerara. Leurs alambics, encore en activité, sont uniques au monde et façonnent des rhums que l’on ne pourrait reproduire ailleurs.

 

Enmore

Colonne continue Coffey en bois, unique au monde. Construite en 1832, juste après l’invention du patent-still (« Coffey still ») par Aeneas Coffey.

Cette innovation a permis de rendre la distillation beaucoup plus efficace. Alors que la distillation en pot-still se fait par cuvées successives, en faisant chauffer le moût dans la cuve, jusqu’à en récolter les vapeurs, la distillation en colonne consiste à injecter de la vapeur à la base et le moût au sommet, et ce de façon continue, les vapeurs d’alcool se condensant au sommet de la colonne. Ce procédé est rapide et permet d’atteindre des rendements beaucoup plus importants.

La mark est EHP, du nom du premier propriétaire de la plantation : Edward Henry Porter. Son rhum est corsé et concentré, typique du style Demerara.

La distillerie disposait également d’un pot-still en bois, aujourd’hui disparu, son rhum (KFM) était corsé mais équilibré. C’était un bon rhum d’assemblage.

 

Port Mourant

Double pot-still en bois, également unique au monde. Le bois de sa cuve, le même que celui de la colonne d’Enmore, est le greenhart, une essence locale. Il permet d’apporter des arômes supplémentaires et uniques lors de la distillation.

Traditionnellement, un pot-still est un alambic à repasse, dans lequel on effectue une double distillation. La double cuve (avec deux cols de cygne) et la petite colonne de rectification dont l’alambic est équipé, permettent de ne faire qu’une seule distillation, et de produire de grands volumes.

Fondée en 1732, Port Mourant était l’une des plantations les plus anciennes de l’histoire lors de sa fermeture en 1950.

Son rhum (PM) est doux, mais très aromatique et corsé. Il est utilisé pour relever des assemblages et était le favori de la Navy britannique.

 

Versailles

Pot-still en bois greenhart, lui aussi unique au monde. Sa petite colonne de rectification lui permet également de pratiquer une simple distillation, à l’issue de laquelle le rhum a suffisamment de force.

La mark de son rhum (VSG) fait référence à trois plantations ayant fusionné : Versailles, Schoon ord et Goed fortuin. C’est un rhum équilibré, qui donne des notes délicates, parfumées et moelleuses à un assemblage.

 

L’héritage du Demerara

 

Dans la deuxième partie du XXème siècle, la concentration des distilleries s’est poursuivie. Fort heureusement, l’on a conservé quelques uns de ces alambics de légende en les déménageant. Lorsque cela n’a pas été possible, les distillateurs ont réussi à sauvegarder les styles (marks) de chaque plantation en les reproduisant grâce aux alambics qu’ils avaient à leur disposition. Ainsi par exemple, les colonnes Savalle de la distillerie d’Uitvlugt permettant des réglages différents, l’on a réussi à y reproduire les marks SWR, B ou LBI.

Certains alambics ont déménagé plusieurs fois, au gré des fermetures successives, et la plupart d’entre-eux ont atterri sur la plantation d’Uitvlugt. À la fermeture de celle-ci en 1999, l’ensemble a été transféré à la distillerie Diamond, également connue sous le nom de DDL (Demerara Distillers Limited).

Aujourd’hui, DDL dispose d’un héritage formidable, composé des colonnes Savalle d’Uitvlugt (très polyvalentes, elles produisent 9 marks différents), du double pot-still de Port Mourant, des pot-stills Versailles et DHE, des colonnes Coffey de Enmore et de Diamond. Elle s’est en outre dotée d’un complexe multi-colonnes qui lui permet de produire des rhums légers vendus en vrac.

Entre temps, DDL a commencé à embouteiller quelques assemblages de son cru sous la marque El Dorado, et continue à expédier ses différents marks à des courtiers, négociants et embouteilleurs indépendants. Sans peut-être que vous le sachiez, votre rhum préféré contient éventuellement quelques gouttes de rhum du Demerara dans son assemblage.

 

 

 

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