Nicolas, blog coeur de chauffeNicolas, passionné de rhum depuis une vingtaine d’années, cherche constamment à élargir sa culture en dégustant, en étudiant l’histoire, la technique et tout ce qui a trait à son spiritueux préféré. Ces recherches l’ont conduit à créer son propre blog (cœur de chauffe), à écrire pour d’autres, et plus récemment à importer quelques uns de ses coups de cœur, toujours dans un esprit de partage.

 

C’est un fait établi dans le monde des spiritueux aujourd’hui : il faut compter avec les embouteillages officiels d’une part, et les embouteillages indépendants de l’autre.

Lorsqu’un spiritueux est distillé, vieilli, assemblé, mis en bouteille et vendu par une distillerie sous sa propre marque, on appelle cela un embouteillage officiel. L’embouteilleur officiel crée un assemblage qu’il espère constant année après année, à l’aide des différents fûts dont il dispose.

Un embouteilleur indépendant, quant-à lui, va d’une distillerie à l’autre, écume les vieilles réserves ou les courtiers, pour sélectionner un ou quelques fûts en particulier. Il conserve ces fûts, les affine, les travaille, ou les laisse vieillir tels quels. Lorsque le résultat lui semble satisfaisant, il les embouteille dans ses propres flacons. Cela se fait le plus souvent au fût par fût, ou en petit batch, donc en série limitée.

Certains embouteilleurs indépendants achètent même directement du « new make spirit » (qui n’a pas été vieilli), pour le travailler intégralement à leur façon.

La raison d’être des embouteilleurs indépendants

Les embouteilleurs indépendants présentent plusieurs intérêts pour les amateurs. C’est l’occasion pour ces derniers de comprendre les spécificités de chaque distillerie, ou encore les différences qui existent entre régions de production, en dégustant des fûts bien précis. C’est aussi un moyen d’explorer une distillerie plus en détails, et de se rendre compte de ce que peut être l’un des éléments d’un assemblage officiel que l’on apprécie.

Pour permettre au passionné de mieux appréhender ces subtilités : les IB (Independent Bottlers) ont apporté une chose primordiale : la transparence. Le plus souvent figurent des informations comme la date de distillation, la date d’embouteillage, le type de fût utilisé, le nombres de bouteilles etc.

Avec cette transparence vient également une volonté de montrer le produit au naturel, sans artifice, coloration ni filtration. Dans cette optique, les IB ont aussi introduit la notion d’embouteillage brut de fût, sans dilution du liquide avant la mise en bouteille.

C’est aussi un moyen pour des passionnés de parcourir l’histoire d’un spiritueux. Lorsqu’une distillerie ferme et que sa marque cesse d’exister, il reste souvent un stock de fûts que l’embouteilleur indépendant peut acheter. Il propose ainsi, quelques années plus tard, un voyage dans le temps.

Pourquoi les distilleries y trouvent aussi leur compte

Pour les distilleries, les embouteilleurs indépendants on été, et sont toujours, de précieux alliés. À une époque où l’industrie du whisky était moribonde, les jeunes embouteilleurs indépendants ont dépoussiéré le spiritueux de papy et ont relancé l’intérêt des épicuriens.

L’intérêt pour une distillerie peut aussi être de sortir des fûts qui ne correspondent pas au style de leur marque, mais qui peuvent toucher des amateurs curieux ou pointus.

Les IB peuvent également servir de laboratoire aux embouteilleurs officiels, qui reprennent aujourd’hui certains de leurs codes.

Certains IB devenant plus célèbres que les OB (Official Bottlings) sur certains marchés. Ils redonnent de la vigueur à leur distillerie en allant même jusqu’à jouer les ambassadeurs, la portant dans des territoires où elle était encore inconnue.

C’est une relation particulière, un drôle d’équilibre qui noue IB et OB. Pour le comprendre, il faut remonter un peu dans le temps.

Une petite histoire des embouteilleurs indépendants

L’embouteillage indépendant est une pratique séculaire dans le monde du whisky. Avant la fin du XIX ème siècle, le whisky était vendu au fût par fût dans les débits de boisson. Il venait la plupart du temps de la distillerie locale et n’était pas embouteillé ; nul besoin donc pour elle de créer une marque.

Cette époque marque également l’arrivé des blends (assemblages). Les créateurs achetaient les composants avant tout au gré des prix. Délaissés, les connaisseurs et amateurs d’un style ou d’une distillerie en particulier, certes minoritaires, constituaient tout de même une clientèle non négligeable à satisfaire.

C’est Gordon & McPhail, un épicier de renom, qui s’en est chargé à partir de 1895. Il était alors le seul à acheter et vendre des whiskies au fût par fût, mais a été bientôt rejoint par d’autres. Les distilleries y voyaient un intérêt, car elles dégageaient de la trésorerie immédiate en vendant leurs jeunes fûts. Les embouteilleurs indépendants et les amateurs y trouvaient également leur compte. Les premiers achetaient leur whisky à bas coût, pour le revendre aux seconds à un tarif intéressant.

La plupart des embouteilleurs indépendants ont disparu avec la seconde guerre mondiale, après quoi la tendance s’est inversée. Les distilleries ont alors commencé à embouteiller et à vendre leur whisky sous leur propre marque.

Dans les années 1980, Signatory Vintage a sonné le retour des IB, avec succès. Puis dans les années 1990, une flopée d’embouteilleurs ont envahi le marché. Ces « armchair bottlers » achetaient et revendaient des fûts depuis leur bureau. Sans rien connaître du whisky, ils proposaient des projets médiocres. Cela a eu pour effet de ternir l’image du milieu, et de fermer le robinet du côté des distilleries, qui ont rechigné à se séparer de leurs fûts au début des années 2000.

Les embouteilleurs indépendants au XXI ème siècle

Les embouteilleurs indépendants ont donc dû penser à d’autres façons de travailler. C’est alors qu’un certain nombre d’embouteilleurs britanniques de whisky se sont intéressé au rhum. Cela s’est fait assez naturellement, le canal historique entre les chais des négociants anglais et les distilleries des caraïbes n’étant pas rompu, même après la fin de la ration de rhum des marins de la Navy en 1970.

À la même époque, et c’est un bouleversement pour l’industrie du whisky. Les IB ont commencé à racheter des distilleries, voire même à en créer eux-mêmes. Un mélange des genres s’est opéré à ce moment, et la frontière entre IB et OB est devenue plus floue.

Dans les années 2010, on a aussi pu assister à la création de nouveaux blends par des embouteilleurs indépendants. Les Big Peat, Scallywag et Timorous Beastie de Douglas Laing, ou encore les assemblages de Compass Box en sont des exemples. Les IB ont ainsi bravé d’autres frontières en se faisant marques de négoce.

Le rhum suit le chemin du whisky

On trouve des exemples du même type dans le rhum. La Compagnie des Indes par exemple, pionnière de l’embouteillage indépendant français, a créé ses assemblages Caraïbes ou Latino de la même manière que Pusser’s ou Myers’s l’avaient fait auparavant. Ces blends sont devenus des références pérennes et constantes année après année. On peut également citer les rhums Plantation, embouteilleur indépendant à l’origine des assemblages 3 stars ou OFTD.

Ces assemblages sont cependant à dissocier des blends « small batch » que proposent également ces IB, et qui s’inscrivent davantage dans leur démarche originelle.

Le monde de l’embouteillage indépendant est en constante évolution. On compte désormais quelques IB de Cognac et d’Armagnac, et plus en plus d’IB de rhum.

Attention toutefois à bien différencier « marketeurs » et éleveurs. L’explosion des ventes de rhum a vu le retour des « armchair bottlers ». Ces derniers négocient des fûts sur catalogue, au risque de dépouiller la catégorie de son âme à force de sorties redondantes. D’autres en revanche, plus rares, vont toujours dénicher des trésors dans les distilleries du monde. Ils bichonnent leurs fûts pendant plusieurs années, réduisent, reposent, embouteillent, tentent des choses et prennent des risques

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