Rhums hispaniques, anglo-saxons ou agricoles, en quelques années, ce spiritueux qui fleure bon l’exotisme est aujourd’hui plébiscité par tous les bons bars à cocktails de Paris à Singapour. Celui-ci ne se réduit plus à la préparation d’un simple mojito ou d’un banal rhum coca. La variété de son profil aromatique en fait un petit bijou de saveurs et une source de créativité pour les maîtres du shaker.

Une foison de bars à cocktails avec le rhum à l’honneur

Blanc ou brun, jus de canne à sucre ou mélasse, reposé quelques mois en cuves inox ou vieilli de longues années en fût de chêne, tous les barmen vous le confirmeront, le rhum est un spiritueux au caractère versatile, facile à combiner avec tout un panel de cocktails, long ou short drink, sweet, sour ou bien bitters pour des palais plus confirmés. Depuis l’explosion mondiale du marché de ce liquide aux multiples terroirs, les bars à cocktails dédiés aux rum lovers se multiplient : bars à tikis au summum de l’exotisme caribéens ou bars spécialisés orchestrés par des experts en la matière, plus d’excuse pour ne pas en connaître un minimum au rayon rhum.

Aujourd’hui on peut aujourd’hui vanter les mérites du Mabel à Paris et du travail minutieux et sophistiqué de son maître à bord Joseph Akhavan, hissé enfin au classement du The World’s 50 Best Bars à la 98ème place, de l’extraordinaire collection de flacons de tous horizons, à mixer avec des cocktails sur mesure du jeune bar Black Parrot planqué à la City à Londres, ou l’exécution parfaite des grands classiques du cocktail dans l’historique Rum Trader à Berlin. Pour les bars à tiki, direction Londres avec Laki Kane ou Chicago avec Lost Lake pour un périple autour du monde sans passer par la case du tour opérateur, grâce à des boissons mélangées pour monter direct au 7ème ciel.

Le rhum, un compagnon des moments phares de l’histoire

Pas de doute sur le sujet, le rhum est l’un des rares spiritueux ancrés dans des moments phares de l’histoire de l’humanité. Remontons doucement les aiguilles du temps, au XVIIème siècle à l’époque où l’empire britannique régnait sur l’Inde et rapporta de ce territoire lointain la recette de l’ancêtre du cocktail, le punch, une mixture composée d’eau-de-vie, de jus de citron vert, de sucre, d’eau et de multiples épices qui protégeait les marins face aux maladies infectieuses (première trace écrite en 1632). Le rhum fut rapidement l’un des spiritueux les plus convoités pour cette boisson dès que l’Angleterre colonisa certaines îles des Caraïbes, ayant pour principale activité, la culture de la canne à sucre. Le célèbre barman Jerry Thomas publia en 1862 ses premières recettes officielles dans son livre de cocktails «The Bar-Tender’s Guide». Le punch est ici travaillé avec du rhum essentiellement de Jamaïque. Du côté des colonies françaises, le célèbre Ti’Punch voit le jour sur l’île de Marie-Galante pour fêter un évènement de grande ampleur, le décret de l’abolition de l’esclavage en 1848. On connaît aujourd’hui sa popularité dans les Antilles.

Dès le XIXème siècle, c’est au tour de l’île de Cuba d’imposer son rhum sortant d’alambic à colonne. Son profil léger suscite immédiatement l’intérêt pour des breuvages rafraîchissants et doux, perfectionnés par le club des cantineros, la crème des barmen cubains dès les années 1910. En pleine époque de la prohibition, certains Américains, en mal de boissons alcoolisées, s’échappent vers la plus grande île des Caraïbes, le temps d’une soirée, et y découvrent les saveurs irrésistibles du Daïquiri (rhum cubain, citron vert, sirop de sucre), cocktail phare du Floridita, et lieu de prédilection de l’écrivain Ernest Hemingway. D’autres élixirs ayant démocratisé l’univers du cocktail au début des années 2000 ont connu à la même époque un joli succès comme l’incontournable mojito et le Cuba libre.

L’ère austère de la prohibition aux Etats-Unis a laissé la place quelques années plus tard à l’engouement pour une nouvelle culture beaucoup plus légère et insouciante : l’esprit tiki puisant son inspiration en Polynésie avec un art de vivre rimant avec soleil, plage, et douces vahinés. Dès les années 40, le cocktail devient l’emblème de cette culture paradisiaque grâce à deux personnalités, aujourd’hui mentors de la mixologie et du rhum : Ernest Raymond Beaumont-Gant plus connu sous le nom de Donn Beach et propriétaire de l’établissement Donn The Beachcomber à Hollywood ; et Victor Jules Bergeron surnommé Trader Vic. Le premier est l’auteur du Zombie, le terrible cocktail composé d’un blend de 10 cl de rhum minimum et le second le mai tai, un cocktail plus accessible. En 2019, le rhum a confirmé sa place dans cette nouvelle vague de la mixologie des années 2000.

Quel cocktail, quel rhum: toute la magie du barman

Longtemps, le monde du bar a gardé cloisonné un style de rhum pour une catégorie de cocktails, lié à ses origines et son spectre aromatique: le rhum cubain au profil léger et discret pour les grands classiques mojitos et daïquiris, le rhum agricole boosteur d’arôme de canne à sucre pour les ti’punchs ou les planteurs, le rhum de style anglo-saxon aux saveurs intenses, boisées et épicées pour les tikis. Dans cette effervescence du cocktail et du rhum, les chef barmen ont réussi un sacré défi : abattre les frontières des différentes catégories et jouer les alchimistes en shaked and stirred tout type de cocktails avec tout type de rhums.

Voici quelques règles de bon usage suivies par les barmen:

Les rhums blancs: les cocktails d’origine Amérique latine (mojito, daïquiri, pinacolada…) sont élaborés aussi bien à partir de rhums cubains qu’anglo-saxons ou agricoles selon la dose de saveur de canne à sucre recherchée ; les boissons d’origine antillaise (ti’punch et planteur) sont fortement conseillées avec du rhum agricole ou d’origine française à 50 degrés pour révéler toutes les arômes de la canne à sucre ; les tikis sont travaillés avec tout type de rhum blanc, tout dépend de la politique du bar, modern ou classique style.

Les rhums vieux: utiliser un rhum vieux de 3 à 12 ans pour un cocktail est loin d’être un sacrilège. Son caractère plus affirmé qu’un rhum blanc, à la fois boisé, épicé ou rond, donne des cocktails racés avec une belle longueur en bouche. Idéal pour des drinks épurés comme un old fashioned.

Les rhums Overproof: ces rhums titrant de 50 degrés à 70 degrés sont devenus les nouveaux chouchous des barmen. Véritable concentré de saveurs et d’alcool, ils sont utilisés généralement pour l’élaboration de grands classiques du tikis chargés en degré alcoolique, le zombi (pas plus de deux verres par soir s’il vous plaît) et autres bombes exotiques exigeant du corps et du caractère.

On a interrogé l’expert Joseph Akhavan du Mabel pour deux associations plus complexes avec du rhum La Compagnie des Indes:
Les rhums navy strength: «Je ne veux pas dénaturer la puissance ni la camoufler, j’aime bien mettre le profil explosif, par exemple en Negroni ou Old Fashioned les typicités ressortent parfaitement. Un Negroni au Navy Jamaica 5 ans c’est top.»

Les blends de rhum: «il faut surtout jouer sur les complémentarités, le travail est du coup différent. Par exemple associer 2 rhums fruités ou 2 rhums aux style différents pour élargir la profondeur aromatique du cocktail, ça peut être un Daiquiri, Un Sour, voire même un cocktail sec, pour le coup ça dépend vraiment de ce que je recherche. Le Tricorne, le Latino et le Caraibes qui sont déjà des blends sont très versatiles et fonctionnent très bien en association. Un Daiquiri au Tricorne à part égales avec le Latino 5 ans, par exemple.»

Les classiques cocktail au rhum les plus plébiscités

Pour ne pas avoir l’air inculte face aux seniors des cocktails, on vous a préparé une liste de boissons stars (mais non exhaustive) mixés au rhum, avec lesquels les barmen s’amusent à varier les plaisirs.

Dark & Stormy: l’unique long drink signé d’une marque de rhum, Gosling’s concocté à partir d’ingrédients issus des Bermudes (rhum Gosling’s, citron vert, sirop de vert, ginger beer).

Pina Colada: un cocktail crémeux et fruité créé dans les années 50 à Porto Rico. Il est facilement reconnaissable grâce à son verre à pied tout en rondeur et son ombrelle en papier bigarré (rhum blanc, jus d’ananas, crème de coco).

Marie Pickford: imaginé au bar de l’hôtel Nacional à la Havane pendant la prohibition, ce cocktail rend hommage à l’épouse de Charlie Chaplin (rhum cubain, jus d’ananas et de citron jaune, liqueur de marasquin, grenadine).

Navy Grog: crée par l’un des maîtres du tiki, Donn Beach, en 1941, ce costaud breuvage a la particularité d’associer trois rhums (rhum blanc, rhum ambré de Guyane, rhum brun de Jamaïque, jus de citron vert et de pamplemousse, sirop de miel et eau gazeuse).

Knickerbocker: un cocktail avant-gardiste du milieu du XIXème siècle qui fait référence à l’aristocratie new-yorkaise (rhum jamaïcain, jus de citron vert, curaçao, sirop de framboise)

Présidente: un cocktail né à Cuba au moment de la prohibition qui fait honneur aux présidents cubains de l’époque, Carmen Menocal et Gerardo Machado (rhum blanc cubain, vermouth dry, triple sec, grenadine)

Milk punch: le cocktail technique et trendy des barmen, et explosif en bouche ! Il est généralement composé de rhum, de citron, de sirop de sucre et de multiples épices et complété par une bonne dose lait, le tout est ensuite filtrée à plusieurs reprises. Il est très apprécié pour son goût soyeux et sa robe translucide.

Paddington: un des cocktails signatures du bar speakeasy PDT (Please Don’t Tell) du célèbre Jim Meehan, crée en 2008 et inspiré de l’ours Paddington.

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