NICOLAS, PASSIONNÉ DE RHUM DEPUIS UNE VINGTAINE D’ANNÉES, CHERCHE CONSTAMMENT À ÉLARGIR SA CULTURE EN DÉGUSTANT, EN ÉTUDIANT L’HISTOIRE, LA TECHNIQUE ET TOUT CE QUI A TRAIT À SON SPIRITUEUX PRÉFÉRÉ. CES RECHERCHES L’ONT CONDUIT À CRÉER SON PROPRE BLOG (CŒUR DE CHAUFFE), À ÉCRIRE POUR D’AUTRES, ET PLUS RÉCEMMENT À IMPORTER QUELQUES UNS DE SES COUPS DE CŒUR, TOUJOURS DANS UN ESPRIT DE PARTAGE.
La gastronomie japonaise s’invite de plus en plus régulièrement à la table des européens. Elle s’accompagne traditionnellement de saké, ou plutôt devrions-dire de nihonshu (« saké » signifie boisson alcoolisée au sens large, en japonais), mais on ne connaît encore que très peu le shochu, le spiritueux traditionnel de l’archipel.
On pense que sa tradition remonte à la fin du XVème siècle, même si les premiers écrits en faisant mention datent eux du XVIème, aussi bien en Europe qu’au Japon même. En effet, à la même époque, les missionnaires portugais rapportaient l’existence d’une eau-de-vie appelée « xochu », tandis que des charpentiers japonais apposaient un graffiti sur le toit d’un temple, se plaignant d’un prêtre pingre qui ne leur donnait même pas un peu de shochu à la fin de la journée de travail.
Le Honkaku Shochu
Le honkaku shochu est « le shochu authentique », distillé en une seule passe en alambic, par opposition au korui shochu, plus léger, distillé en continu, en colonne. Il est principalement produit sur l’île du sud, Kyushu, qui regroupe la majorité des quelques 600 distillateurs du pays. Sur l’île tropicale d’Okinawa, on parle d’awamori, un spiritueux produit quasiment de la même façon, qui semble-t’il serait encore plus ancien.
Plus de 50 matières premières sont autorisées dans la production du shochu ; une variété réjouissante qui ne peut qu’éveiller l’appétit des curieux. Les principales sont le riz (kome), l’orge (mugi), la patate douce (imo), le pain de sucre de canne (kokuto), ou encore le sarrasin (soba). L’awamori est quant-à lui distillé uniquement à partir de riz jasmin (riz long thaï). En vrac, on peut aussi citer le sésame, l’algue, la citrouille, les lies de saké, le radis, la châtaigne, et même le lait…
La production du shochu
Le koji et la fermentation
L’ingrédient indispensable avant toute autre chose est le koji. Dans notre article sur le batavia arrack, nous avions parlé de cette moisissure magique qui convertit l’amidon des céréales en sucre, afin de pouvoir démarrer une fermentation. Ce champignon (le koji jaune) est un élément central de la gastronomie japonaise, puisqu’on y a également recours dans la production de la sauce soja, du miso, du saké bien sûr, et du mirin.
Le koji jaune présente l’inconvénient de moins bien fonctionner dans les climats chauds comme celui de Kyushu. Il ne développe pas une acidité suffisante pour éviter une contamination bactérienne du moût. Les distillateurs ont alors cherché du côté d’Okinawa et de l’amawori, où l’on utilise un koji noir, à l’aise même en climat tropical. Plus récemment, on a découvert une autre variété, le koji blanc.
Dans la fabrication du shochu, on développe dans un premier temps le koji sur du riz cuit à la vapeur, ou encore sur l’orge ou la patate douce. On se retrouve alors avec un bon support de propagation pour les levures, qui sont ensuite ajoutées avec de l’eau pour créer un pied de cuve, où les sucres obtenus par le koji vont pouvoir fermenter. En parallèle, on cuit l’ingrédient principal (patate douce, sucre de canne, etc), qui vient ensuite rejoindre la cuve de fermentation. Pour l’awamori, on s’en tient à la première étape ; seul le riz kojifié entre dans la fermentation.
La distillation en une passe
De la fermentation, on tire un moût qui titre 15 % d’alcool environ, un degré suffisamment élevé pour obtenir un distillat à 40 % après une seule passe en alambic. Cette distillation unique permet ainsi de conserver un maximum d’arômes de la matière première. On distingue en outre les alambics à pression atmosphérique (qui font des distillats plus chargés) des alambics à basse pression (dont s’écoulent des shochus plus délicats).
Le shochu mature ensuite dans des pots d’argile, des cuves en inox, ou dans des fûts de bois. L’awamori âgé d’au moins 3 ans (kusu) est issu d’un assemblage dynamique comparable à la solera des bodegas de Jerez. Après assemblage et réduction, la plupart des shochus titrent entre 25 et 30 % d’alcool. Cette puissance est surprenante pour un amateur de spiritueux qui est habitué à des alcools qui dépassent les 40 %, mais il est important de savoir que le shochu est dans la plupart des cas consommé lors du repas.
Une variété de services à explorer
Le shochu est très souvent dilué par les connaisseurs, que ce soit avec de l’eau chaude (oyuwari) ou de l’eau fraîche (mizuwari). Il titre alors 12 ou 13 %, comme un vin. Sa puissance aromatique, notamment issue de sa distillation en une passe, lui permet de très bien supporter la dilution, et de s’intégrer ainsi avec délicatesse avec toute sorte de plats. On peut ainsi s’amuser à déguster un même shochu tout au long du repas, avec un cocktail ou « on the rocks » en mise en bouche, non dilué à température ambiante avec l’entrée, dilué avec de l’eau chaude avec le plat, et dilué avec de l’eau fraîche et un glaçon avec le dessert.
La culture du shochu est donc un monde fascinant, de par la multitude de ses expressions, de ses matières premières, de leurs combinaisons avec les différents kojis, des différents élevages, et des modes de service qui révèlent à chaque fois une nouvelle palette d’arômes.