Nicolas, blog coeur de chauffeNicolas, passionné de rhum depuis une vingtaine d’années, cherche constamment à élargir sa culture en dégustant, en étudiant l’histoire, la technique et tout ce qui a trait à son spiritueux préféré. Ces recherches l’ont conduit à créer son propre blog (cœur de chauffe), à écrire pour d’autres, et plus récemment à importer quelques uns de ses coups de cœur, toujours dans un esprit de partage.

 

L’Indonésie, et plus précisément l’île de Java, abrite et produit un spiritueux de canne à sucre totalement unique. Son nom lui vient de Batavia, l’ancienne capitale des Indes Hollandaises (aujourd’hui Jakarta).  Araq, est quant à lui un mot issu des premiers temps de la distillation, au Moyen Orient. Ce mot imagé signifiant « sueur » ou encore « condensation » en arabe. Il permet de s’imaginer la découverte des premières gouttes de distillats s’écoulant d’un alambic (al ‘inbïq).

Aujourd’hui relativement méconnu, il était pourtant largement apprécié et même considéré comme supérieur aux rhums des Caraïbes au cours des 17ème et 18ème siècles en Europe. Ses meilleurs ambassadeurs étaient les marins, qui assuraient que c’était avec lui que l’on faisait les meilleurs punchs.

Il était surtout produit par des chinois planteurs de canne et producteurs de sucre installés sur l’île, qui avaient aussi une maîtrise millénaire de la distillation. Cela est d’ailleurs toujours vrai à ce jour, car ce sont des familles d’origine chinoise qui en régissent l’industrie.

L’arrack au sens large était connu depuis longtemps en Asie du Sud et du Sud-Est, qu’il soit fait de sève de palmier, de cocotier, ou de canne à sucre. Mais c’est bien ce fameux Batavia Arrack de Java, dont on trouve les premières traces au milieu des années 1600. Il a largement tiré son épingle du jeu et traversé les frontières.

C’est la Vereenigde Oost Indische, la Compagnie des Indes Néerlandaises, qui détenait le monopole du commerce de ce spiriteux en Europe. Les firmes hollandaises de courtiers en rhum aujourd’hui célèbres ont dans leur ensemble été avant tout de grands négociants de Batavia Arack. C’est le cas de E&A Scheer à Amsterdam par exemple. Née en 1712, la société s’est consacrée presque exclusivement au Batavia Arrack jusqu’à la fin du 19ème siècle. C’est à partir de cette époque que le rhum a remplacé le spiritueux de Java, dont les tourments de l’histoire ont considérablement freiné la course.

 

La fabrication du Batavia Arrack

On pourrait résumer le Batavia Arrack à un rhum Indonésien, mais ce ne serait pas tout à fait correct. En effet, il fait appel à des méthodes bien particulières et fondamentalement asiatiques. La différence de taille avec le rhum se trouve dans sa méthode de fermentation :

Pour préparer le moût qui sera ensuite distillé, on utilise de la mélasse de canne à sucre, de l’eau, et surtout un levain de riz rouge. Contrairement à ce qui est souvent répandu, il ne s’agit pas d’une variété de riz de couleur rouge qui porterait des levures particulières. C’est plutôt le riz fermenté à l’aide d’une moisissure. Elle est appelée “Koji” dans le monde du Shochu japonais ou “Qu” dans le Baiju chinois.

Ce champignon est cultivé sur du riz cuit à la vapeur, ou simplement imbé d’eau, durant 3 à 6 jours à température ambiante. C’est lui, le monascus purpureus qui donne la fameuse couleur rouge au riz en le colonisant. Par là même, il est un support idéal pour les levures sauvages qui s’y développent abondamment. Il assure ainsi un bon contrôle de la fermentation de la mélasse qui se déroule en cuves de bois, à l’air libre.

La distillation se fait traditionnellement en alambic à repasse, même si aujourd’hui certains Batavia Arracks sont plus légers. Ils utilisent moins de riz dans la fermentation et une distillation en colonne.

Autrefois, il était légèrement vieilli sur les navires qui l’acheminaient sur le vieux continent. Il était embarqué dans de grands fûts de bois de teck de 680 litres. Il était ensuite transvasé en cuves de teck, pour respecter son profil aromatique. Des cuves que les marchands hollandais conservent encore à ce jour!

Sa concentration aromatique fait qu’il est utilisé dans les assemblages de rhum. Il est aussi dans l’alimentaire, la parfumerie, le tabac, et plus généralement dans l’industrie des arômes. Sa présence est discrète sur l’échiquier des eaux-de-vie de canne. Nous pouvons nous réjouir qu’un spiritueux aussi traditionnel et authentique soit encore parmi nous.

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