Jean-Pierre Saccani est journaliste. Il a également été rédacteur en chef de nombreux titres de presse écrite.

Remise au goût du jour par la mixologie, cette grande famille du monde des spiritueux cultive toujours sa particularité basée sur une matière première et des techniques de fabrication ancestrales.

Désuète, la liqueur le fut longtemps, on l’appelait la « tisane à mémés », c’est dire… Mais quelques barbus tatoués talentueux, tendance hipsters, ont grandement contribué à la ressortir du purgatoire grâce à la « mixologie », un Eldorado dont les plus éminents représentants détiennent presque le statut d’un chef étoilé… Les nouvelles distilleries qui ont poussé comme des champignons dans l’Hexagone se sont également engouffrées dans le créneau avec des références à la gloire du terroir français. Certaines étiquettes tombées dans les limbes retrouvent ainsi une nouvelle jeunesse, c’est le cas du fameux Noyau de Poissy (une liqueur à base d’amandons de noyaux d’abricots) relancé par Jean-Pierre Cointreau, le propriétaire des cognacs Frapin, du champagne Gosset et de Védrenne.

Si le marché de la liqueur a connu un gros passage à vide dans les années 60-70, il se développe de manière constante depuis plusieurs années maintenant en gardant souvent un fort ancrage régional. A l’ère de la mondialisation, ce positionnement s’avère parfois une force, comme en témoigne le succès d’Izarra aux Etats-Unis où la liqueur préférée de la puissante diaspora basque a conquis les bars à cocktails… Autre avantage : la liqueur représente aussi une certaine forme de naturalité, une valeur prisée en cette époque férue d’écologie. Les fruits, les plantes, les herbes, les racines, les écorces, une liste loin d’être exhaustive mais dans tous les cas, des matières premières qui fleurent bon la nature !

Pour devenir une boisson alcoolisée, ces matières premières sont additionnées avec de l’alcool neutre ou déjà distillé sous forme de whisky, de gin, de vodka, etc. La richesse d’une liqueur se trouvant dans ses paramètres aromatiques, la méthode d’extraction des arômes reste primordiale. Deux grandes techniques sont utilisées : la distillation et l’infusion/macération. La première utilise des alambics à repasse en cuivre. La seconde infuse les fruits ou les plantes dans de l’eau avant de les laisser macérer dans de l’alcool durant plusieurs semaines afin d’en capturer les arômes le plus fidèlement possible. Chaque famille est ensuite distillée à part avant l’assemblage final. Enfin, une liqueur doit afficher un degré qui varie de 15 à 55 % et contenir, selon la réglementation française, 100 grammes de sucre au moins par litre, contrairement à sa petite sœur, la crème, qui doit en afficher 250 au minimum. Une gageure à l’heure où les autorités sanitaires crient haro sur le sucre !

Faut pas pousser mémé dans les orties

Actuellement, deux grandes familles se partagent les faveurs des amateurs: les liqueurs de plantes dont certaines brillent par leur complexité, à l’exemple de la Chartreuse (la tradition monastique dans toute sa splendeur) et les liqueurs de fruits comme Cointreau, Guignolet, Grand Marnier… Cette catégorie qui se consomme de moins en moins pure revient en revanche en force dans la composition des cocktails. Pour dresser un panorama complet du monde des liqueurs, il faut aussi rajouter les spiritueux élaborés à base de crème, de café et de chocolat, de fleurs, de whisky, d’anis ou de fruits secs comme l’amande que l’on retrouve dans l’Amaretto. Sans oublier les crèmes de fruits qui s’illustrent par leur texture sirupeuse qui se fond si bien dans un vin blanc ou dans un champagne.

Cette diversité, large comme un éventail déployé, résume à merveille la capacité de résilience de ce spiritueux malmené par la concurrence, le whisky notamment qui renvoya un temps nos liqueurs à l’âge de pierre. Malmené aussi par la modernité, assoiffée de changement et prompte à écrire le futur en oubliant le passé. Aujourd’hui, tant mieux, la liqueur est en pleine forme, surfant avec beaucoup d’à-propos sur son côté « vintage ». La Madeleine de Proust a encore de beaux jours devant elle, tout comme la confiture maison mitonnée par mémé… qu’il ne faut pas pousser dans les orties, pour ceux qui ne l’ont pas compris.

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