Nicolas, passionné de rhum depuis une vingtaine d’années, cherche constamment à élargir sa culture en dégustant, en étudiant l’histoire, la technique et tout ce qui a trait à son spiritueux préféré. Ces recherches l’ont conduit à créer son propre blog (cœur de chauffe), à écrire pour d’autres, et plus récemment à importer quelques uns de ses coups de cœur, toujours dans un esprit de partage.
Le rhum de la Navy britannique fait partie des grandes histoires de la légende du rhum. Même si la ration quotidienne des marins a cessé d’être distribuée en ce jour funeste du 31 juillet 1970 (connu comme le « Black Tot Day »), ce style d’assemblage et son degré bien spécifique sont encore bien présents aujourd’hui.
Un véritable morceau d’histoire
L’histoire du Navy Rum démarre en 1655, lorsque les premières rations d’alcool sont distribuées aux marins de la flotte britannique. Au départ, elles ne sont pas quotidiennes, et le rhum n’est pas forcément la règle ; la bière ainsi que le vin sont bien plus répandues. Cependant, ces derniers se gâtant vite lors des longues traversées, on leur préfère bientôt des alcools plus puissants, comme les eaux-de-vie de vin de France. Celles-ci sont alors plus aisément disponibles et donc moins onéreuses que le rhum.
Ce n’est que dans les années 1730, au moment où la ration quotidienne (« Daily Tot ») est officiellement instaurée, que l’eau-de-vie de canne commence à avoir la préférence des équipages. Il faut cependant veiller à conserver une sobriété relative, et en 1740, l’amiral Vernon impose de diluer la ration de rhum d’1/2 pinte par jour avec 4 mesures d’eau et un trait de citron. Cette ration est distribuée en deux fois, et passe plus tard à 1/4 de pinte de rhum pour 3 volumes d’eau.
Fait amusant, notre amiral était surnommé « Old Grog », en rapport avec son vieil habit de tissus « grogram ». C’est de ce surnom que provient le grog que l’on connaît bien aujourd’hui, avec du rhum dilué dans de l’eau chaude et du jus de citron.
Le blend pas si secret du Navy Rum
Durant les premiers temps de la ration, le rhum distribué ne provient que d’une seule origine, qui varie en fonction des arrivages. C’est au début du XIXème siècle que l’on commence à réaliser des assemblages dans les ports de ravitaillement. Les fournisseurs de la marine sont de grands marchands comme Lehman Hart ou Alfred Lamb, dont les « Navy Blends » sont encore bien connus aujourd’hui.
Le blend est lui-aussi variable en fonction des approvisionnements et des cours du rhum, il n’y a pas de recette véritablement figée. On peut tout de même dire qu’il est majoritairement composé de rhums issus des colonies britanniques. Toutefois, des eaux-de-vie de canne de Madère, du Cap-Vert ou du Brésil peuvent y figurer, ce n’est qu’une question d’opportunités. Durant la deuxième guerre mondiale, des rhums de Cuba et de Martinique font même partie du lot.
La construction d’un Navy Rum
Les rhums qui entrent dans l’assemblage sont typiquement mis en fûts de Bourbon et de Porto dans les distilleries, puis envoyés rapidement sur le vieux continent. Leur vieillissement est donc très court, et correspond plus ou moins au temps de la traversée. Arrivés dans les docks des ports de Grande-Bretagne, ils sont assemblés dans de grandes cuves où ils s’harmonisent pendant 2 ans. Au départ, ces cuves sont ouvertes, ce qui favorise la maturation par une aération qui laisse s’échapper les alcools les plus agressifs. Mais on remarque que cela occasionne des pertes trop importantes en volume, et on finit par les refermer.
Si aucune recette n’est gravée dans le marbre, celle qui prévaut au moment de la fin de la ration, en 1970, est un blend composé à 60 % de rhums du Guyana (Demerara), 30 % de rhums de Trinidad, les 10 % restants étant le plus souvent comblés par des rhums de La Barbade ou d’Australie.
La prédominance du Guyana dans l’assemblage (notamment du distillat issu de l’alambic Port Mourant) a forgé un style que nous identifions aujourd’hui comme étant typique du Navy Rum.
Le « Navy Strength »
Jusqu’en 1866, le rhum est servi au « proof », soit au degré de 57 %. Ce terme est né d’une ancienne façon de mesurer l’alcool, qui consistait à mettre une flamme sur de la poudre à canon imbibée d’alcool. Si la poudre s’enflammait effectivement, on avait la preuve (« proof ») que cet alcool faisait au moins 57 %. Après cette date, l’assemblage est réduit à quelques degrés en dessous du proof. Le degré officiel, le « Navy Strength », devient alors 54,5 % d’alcool.