de Mads Heitmann
Je suis un grand fan de rhums brut de fût – pour les néophytes ; brut de fût signifie que le rhum est embouteillé au degré naturellement atteint en fin de maturation, sans ajout d’eau.
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au rhum il y a maintenant de ça presque 14 ans, l’offre de rhum embouteillée brut de fût n’était pas fantastique. Avec un nombre toujours grandissant d’embouteilleurs indépendants, ainsi que l’évolution de l’offre des distilleries Caribéenne qui proposent enfin de puissants et savoureux rhums bruts de fût, les choses ont bien changé depuis 5 ou 6 ans. Mais pourquoi et comment avons-nous aujourd’hui une sélection aussi large de rhums brut de fût, et pourquoi préférer déguster des rhums à 50-60% Vol./Alc voire même parfois 70% Vol./Alc. ?
Pendant des années, les embouteilleurs indépendants de whisky ont, à très petite échelle, embouteillé du whisky brut de fût – une tradition qu’ils ont très tôt appliqué au rhum. Certains de ces embouteillages ont été lancé au début et milieu des années 2000, mais sans grand succès. A l’époque, le marché du rhum n’étant pas encore suffisamment mature, ce type de rhum a peiné à trouver son public. La grande majorité des consommateurs sirotaient alors (quasi exclusivement) des rhums très sucrés et à faible degré d’alcool. Force est de constater que ces embouteilleurs étaient trop en avance sur leur temps.
Au Danemark, pays dont je suis originaire, le rhum brut de fût a beaucoup de succès, et ce depuis des quelques années déjà. Cet engouement a vraiment démarré en 2015 avec une première vague de single cask Compagnie des Indes (dont des rhums brut de fût) tout spécialement embouteillés pour le marché danois. LeCompagnie des IndesBarbados 1998 Foursquare 16 ans d’âge 60% Vol./Alc. MRS236, a marqué un véritable tournant. Ce single cask a permis aux amateurs de rhums danois de découvrir pour la première fois un rhum de la distillerie Foursquare brut de fût, une petite révolution.
Si ce même rhum avait été proposé réduit à 40% Vol./Alc., je ne crois pas qu’il aurait pu atteindre son plein potentiel – il faut noter que la distillerie Foursquare n’avait pas encore son double retort pot still en 1998, donc c’était un rhum à 100 % Coffey still. L’embouteiller à 60% Vol./Alc. a fait la différence, et a conféré à ce rhum une profondeur incroyable, une agréable viscosité et surtout un profil aromatique très riche. Selon moi, ça a été le point de départ de l’engouement pour les rhums brut de fût au Danemark. . Suite à ce premier succès, nous danois avons eu la chance de voir beaucoup de marques proposer des embouteillages brut de fût exclusifs au Danemark.
Mais d’où vient cet enthousiasme des amateurs de rhums pour ces embouteillages que certains qualifieraient peut-être d’extrêmes ? Personnellement, la réponse réside dans l’expérience de dégustation. Je m’explique, si un rhum sort du fût à 60% Vol./Alc. et que l’on y ajoute de l’eau pour obtenir un rhum à 40% Vol./Alc., alors on ne dilue pas simplement le degré d’alcool mais aussi la concentration de ses arômes. Si le rhum est bien produit, aussi bien en termes de fermentation, de distillation qu’en terme de maturation dans de grands fûts, il y a un bon équilibre, une cohésion entre le degré d’alcool et la concentration en arômes.
Dans ces conditions, le proposer brut de fût c’est proposer quelque chose de véritablement unique, difficile à égaler – c’est une explosion de d’arômes en bouche. Mais, si le rhum n’est pas produit dans des conditions idéales, la dégustation de ce rhum brut de fût peut se révéler décevante. L’alcool, peut-être trop présent, prend alors le pas sur le reste, résultat : une expérience très désagréable. C’est important de garder à l’esprit que si tout rhum embouteillé brut de fût n’est pas forcément bon, c’est en revanche bien au sein de cette catégorie que se trouve le meilleur du meilleur.
Je pense que nous devons une fière chandelle aux embouteilleurs indépendants pour l’engouement actuel des consommateurs pour les rhums brut de fût. C’est eux qui ont su initier/instiguer ce mouvement, faisant ainsi quelque chose d’extraordinaire pour le monde du rhum. Cela a permis d’ouvrir la voie aux distilleries de rhum, et de préparer le marché à des embouteillages plus pointus. Cela a créé une demande spéciale chez les consommateurs de rhums, une demande qui a forcé les distilleries Caribéenne établies à suivre le mouvement. A savoir le mouvement des rhums brut de fût …