Nicolas, blog coeur de chauffeNicolas, passionné de rhum depuis une vingtaine d’années, cherche constamment à élargir sa culture en dégustant, en étudiant l’histoire, la technique et tout ce qui a trait à son spiritueux préféré. Ces recherches l’ont conduit à créer son propre blog (cœur de chauffe), à écrire pour d’autres, et plus récemment à importer quelques uns de ses coups de cœur, toujours dans un esprit de partage.

 

 

 

Si un bon distillat est primordial pour obtenir un bon spiritueux, on peut se poser la question de savoir si l’élevage ne l’est pas au moins tout autant.

Un maître de chai doit déjà définir ce qu’il souhaite obtenir du vieillissement. S’agit-il d’aromatiser le spiritueux par extraction des composés contenus dans le bois ? Ou bien s’agit-il de l’oxygéner, de le patiner avec le temps et l’évaporation ?

Ce sont souvent ces deux résultats que l’on cherche à obtenir simultanément, cependant cela nécessite parfois plusieurs manipulations.

Un fût de chêne neuf est prêt à donner tout ce qu’il peut contenir d’arômes et de tanins. On l’utilise la plupart du temps pendant les toutes premières années du vieillissement, car l’extraction étant maximale, le caractère boisé devient vite prédominant. La vive coloration du spiritueux en est d’ailleurs témoin.

Les fûts usagés sont ceux que l’on rencontre le plus souvent. Déjà patinés auparavant, souvent par un autre alcool, une bonne partie de leurs tanins a déjà été « rincée ». Ils conviennent donc à des élevages plus longs, qui favorisent davantage l’oxydation.

Dans le monde du rhum, les anciens fûts de bourbon (chêne américain) sont la norme, et sont également présents en majorité dans le whisky. Le bourbon ne pouvant en effet être vieilli qu’en fût neuf, il existe fatalement un énorme marché du fût de bourbon usagé, dont profitent les autres distilleries à travers le monde.

En France, à Cognac notamment, les fûts usagés de chêne français sont appelés « fûts roux ». Ils n’ont quant-à-eux contenu que du Cognac, et succèdent souvent au fût neuf pour la seconde partie du vieillissement.

Il n’est donc pas rare que les spiritueux passent par plusieurs types de fûts, ou qu’ils soient le résultat de l’assemblage de plusieurs types de fûts, qu’ils soient neufs (extraction), qu’ils aient servi une seule fois (extraction + oxydation) ou de multiples fois (oxydation). Il revient ainsi au maître de chai de sculpter le profil aromatique de son spiritueux, en jonglant avec les différents types de fûts qu’il a à sa disposition.

Que se passe-t’il à l’intérieur d’un fût ?

Le vieillissement est une affaire de chimie qui fait évoluer le spiritueux, l’aromatise, l’assouplit, le colore, jusqu’à le transformer presque totalement. L’essence de bois utilisée, ses différents traitements, son âge, sont autant de critères qui interagissent dans le temps avec l’eau-de-vie.

Les deux grandes familles de chênes que l’on retrouve en majorité dans les spiritueux sont le chêne américain et le chêne français. Le chêne français est connu pour l’élégance qu’apportent son grain fin et ses tanins, ainsi que pour ses notes subtiles de vanille. Le chêne américain apporte quant-à-lui davantage de gourmandise, d’épices douces, et des notes de noix de coco.

Ces caractères sont plus ou moins marqués en fonction la chauffe que l’on leur applique. En effet, les tonneliers brûlent plus ou moins intensément l’intérieur du fût, afin de développer un certain profil aromatique. Une chauffe légère développe ainsi des notes d’épices douces, qui vont évoluer en arômes de fruits à coque avec une chauffe plus forte, pour finir sur le registre de la torréfaction avec la carbonisation de la surface du fût.

Cette dernière offre en outre un accès accru au cœur du bois, car celui-ci se craquelle en surface, ainsi qu’un charbon qui filtre les impuretés de l’eau-de-vie.

La chimie du fût

Le bois contient plusieurs éléments qui influencent le profil aromatique du spiritueux, et sur lesquels le tonnelier et le maître de chai peuvent composer.

Les tanins, par exemple, fournissent une certaine amertume. Celle-ci est lessivée en grande partie lors de la préparation du bois. Mais les tanins restants fournissent de la vivacité au spiritueux et se fondent en notes fruitées avec le temps.

La lignine est un polymère qui, lorsque chauffé, développe des arômes qui vont de la vanille à la fumée, selon l’intensité du brûlage.

Les lactones, issues des lipides du bois, apportent les arômes typiques de coco du chêne américain, ainsi que des nuances boisées et végétales.

L’hémicellulose est quant-à-elle une sorte de glucose, qui amène une texture ronde au spiritueux et qui caramélise lors de la chauffe du bois. Elle est ainsi responsable de la couleur ambrée, mais aussi des notes gourmandes de sirop d’érable ou de sucre cuit.

Tous ces apports du fût se résument à ce que l’on appelle l’extraction. Elle est plus ou moins importante selon les utilisations précédentes du fût, c’est-à-dire s’il s’agit d’un fût neuf ou d’un fût qui a déjà contenu d’autres eaux-de-vie.

La taille du fût a aussi son importance, car elle détermine la surface de contact entre le liquide et le bois. À ce titre, on peut préciser par exemple que les fûts de bourbon ont une contenance de 180 à 220 litres, alors que les barriques de cognac en contiennent la plupart du temps 400.

On peut aussi parler du degré d’enfûtage du spiritueux, car plus celui-ci est élevé, plus l’alcool va extraire les éléments chimiques du bois.

La complexité du vieillissement

L’autre phénomène crucial qui se développe durant l’élevage en fût est l’oxydation, qui mène à l’estérification, issue de la rencontre dans le temps entre l’alcool, les acides gras de l’eau-de-vie et l’oxygène. C’est elle qui développe des arômes supplémentaires, et donc de la complexité.

Les arômes peuvent également venir de l’alcool précédemment contenu par le fût. En effet, on a souvent recours à des fûts usagés, qu’ils soient de bourbon, de cognac ou de sherry, qui libèrent les arômes accumulés dans le bois lors des vieillissements précédents.

C’est d’ailleurs ce phénomène que l’on cherche principalement lorsque l’on pratique la technique de la finition (« finish »). Certains fûts sont très marqués par l’alcool qu’ils ont contenu, comme par exemple les fûts de calvados, de whisky tourbé, ou de vin. Le but du finish est ainsi d’apporter une nuance supplémentaire au spiritueux, en lui offrant une maturation complémentaire de quelques mois dans un de ces fûts.

Enfin, l’extraction ou l’oxydation interviennent de façon différente selon le milieu où les fûts sont entreposés. L’évaporation (« la part des anges »), et donc l’extraction, la concentration, mais aussi l’oxygénation, sont différentes selon les températures qui règnent dans le chai, leur amplitude, ainsi que le taux d’humidité. Et cela se complique encore lorsque l’on sait que tout cela varie au sein d’un même chai !

Le vieillissement est donc un processus complexe et fascinant, que les maîtres de chai aspirent à maîtriser au mieux afin d’obtenir les profils aromatiques recherchés, et surtout afin de relever le grand défi de les maintenir année après année.

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